Paris-province, des vies qui passent…

Bernard Baritaud et Daniel Laplaze, trois romans aux éditions Jean-Paul Gisserot, coll. 28-8 police! sous la direction de Michel Renouard.

Bernard Baritaud et Daniel Laplaze se sont rencontrés il y a fort longtemps. L’un est diplomate, l’autre est physicien. L’un a passé une partie de sa vie à l’étranger, l’autre s’est partagé entre l’Afrique et la France. Pour autant, quand il s’est agit de donner un cadre à leurs romans policiers, leurs regards se sont tournés vers la Charente, terre d’origine de Bernard Baritaud, la plume qui nourrit les scénarios élaborés par Daniel Laplaze. Cette organisation à la Boileau-Narcejac a déjà donné trois romans de belle facture et fort distrayants. Ils mettent en scène, à dix ans d’intervalle entre chaque roman, Pierre-Marie Urlevent dit PMU, directeur de l’agence Urlevent Investigation et auteur de polar estimé. Trois enquêtes sur vingt ans avec en fond de décor Paris et la province française.

PMU a hérité de l’agence de détective, secrétaire fumeuse et quinteuse incluse dans les murs, en 1974 alors qu’il hésitait entre le journaliste et l’enseignement. Autant dire un don du ciel pour cet aspirant romancier, cadeau d’un oncle qu’il ne connaissait ni des lèvres ni des dents, mort sans enfant ni testament. Douze ans plus tard, l’agence a quitté Montreuil-sous-bois pour le centre de Paris et le quartier des Halles alors en pleine mutation. Les dossiers sont toujours tenus de main de maître par Thérèse et sa Remington mais l’agence a diversifiée ses activités. Si l’oncle Léon vivait essentiellement des histoires d’adultères, PMU a rajouté quelques cordes à l’arc familial, espionnage industriel, enquêtes parallèles à celles de la police sur des assassinats… Ses romans lui ont déjà valu « un passage chez Pivot » comme on disait à l’époque et il n’est pas rare que les clients du détective soient aussi des lecteurs charmés.

Baritaud-Laplaze_La Mort en charentaises_couv

En ce début de juin 1986 PMU reçoit une lettre et un acompte de Melle Michoulaud. Cette institutrice retraitée vient de connaître un tel choc qu’il lui faut l’aide d’un tiers pour comprendre. Alors qu’elle est en cure au Grand Hôtel d’Évian Melle Michoulaud a été bouleversée par l’apparition d’une vieille connaissance. Seulement, selon toute vraisemblance, cette personne est morte. L’événement et le récit sont datés du 7 juin mais la lettre n’est arrivée à l’agence que le 10. Et quand PMU téléphone à l’hôtel d’Évian pour s’entretenir avec Melle Michoulaud, il apprend qu’elle est décédée dans la nuit. Simple coïncidence ? Soucieux d’honorer la confiance de sa cliente, PMU décide de se rendre à Évian. Thérèse fronce les sourcils : l’oncle Léon se serait contenté d’encaisser le chèque, lui ! Mais l’oncle Léon n’écrivait pas de romans policiers ! À défaut d’enquête, PMU trouvera peut-être matière à un roman. Sur place, personne ne doute de la mort naturelle de Melle Michoulaud, surtout pas le commissaire Moulinard qui lorgne sur ses vacances. Dans les affaires de sa cliente, PMU remarque quatre photos dans un cadre de voyage. Intrigué, il décide de pousser plus loin ses investigations. Il traverse la France pour se rendre à Saint-Martin-Genouillac, dans le village charentais de la demoiselle. Chez elle, les murs sont tapissés de photos de classes, toute une vie consacrée aux enfants. Et près de son bureau, à part, les photos découvertes à Évian. Qui sont ces jeunes gens ? Dans le village, on n’aime pas en parler. À quoi bon réveiller les vieux drames ? Mais comme on aimait bien la vieille demoiselle, PMU repart avec quelques indices d’autant plus précieux qu’à Évian, le commissaire Moulinard ne sait plus où donner de la tête : la vieille demoiselle a bel et bien été assassinée, et par une main particulièrement astucieuse !… Qui pouvait bien en vouloir à cette vieille institutrice au point de la tuer ?

Baritaud-Laplaze_Voir Angoulême et mourir_couv

Dix ans plus tard, au mois d’avril 1996, c’est une autre lectrice qui fait appel à PMU, une jeune femme venue tout droit d’Angoulême et dont la détresse émeut la redoutable Thérèse. Bravant la consigne, elle n’hésite pas à faire revenir PMU à l’agence un vendredi soir alors qu’il s’apprête à emmener femme et enfant en Italie ! Mais elle sait PMU sensible à tout ce qui fleure bon la Charente et l’affaire n’est pas banale.
Michèle Cartraud est très inquiète pour son fiancé, Robert Pranzac, placé en garde à vue. Dimanche soir, en rentrant chez eux, Robert Pranzac s’est arrêté à côté d’une voiture en panne et a accepté de ramener la passagère à Angoulême. Mardi matin, le corps d’une femme a été retrouvé dans un terrain vague à la périphérie d’Angoulême. Reconnaissant sa passagère de dimanche soir, Robert Pranzac s’est rendu à la police en réponse à l’appel à témoin. Dernier à avoir vu la victime en vie, il est considéré comme suspect principal. PMU accepte d’enquêter sur le meurtre afin d’innocenter son client et recommande un bon avocat à Angoulême, son vieil ami Fougerolles. Femme et enfant installés en Italie, PMU repasse par Angoulême où Fougerolles lui transmet les premiers éléments. La victime, Nicole Poujol, était infirmière à la Clinique Victor-Hugo, chirurgie esthétique, et entretenait une liaison avec le patron, Jean-Pierre de Vicenti, une huile locale. C’est de Vicenti qui a confié Nicole Poujol à Robert Pranzac le dimanche soir. Le couple avait passé l’après-midi dans la maison de campagne des Vicenti, tandis que l’épouse du docteur se distrayait de son côté. Originaire de Montpellier tout comme de Vicenti, Nicole Poujol ne pouvait ignorer une liaison qui avait fait grand bruit à l’époque entre le docteur et une de ses patientes, décédée du sida… Et Nicole Pujol était ambitieuse, décrite comme prête à tout pour grimper toujours plus haut. Certaines collègues fragiles en ont fait l’expérience et le docteur cherchait à rompre…

Baritaud-Laplaze_Le Pineau du pendu_couv

Une dizaine d’années plus tard, PMU renoue avec la Charente pour une enquête sur le suicide d’un PDG de La Rochefoucauld. Pierre-François Degray a été retrouvé pendu dans son cabanon de pêche, en bordure de la Tardoire.
Bien sûr, la SIMR battait de l’aile et l’avenir de l’entreprise ne s’annonçait pas radieux. Mais il y a aussi ces lettres anonymes, que personne ne comprend, et qui continuent d’arriver même après sa mort. Gérard Degray, le fils, a eu l’occasion de croiser Léo Urlevent au moment où celui-ci venait assurer une formation SAP dans l’entreprise. Les jeunes gens sont du même âge et découvrent tous les deux le monde du travail. Sauf que pour Gérard, cette découverte s’accompagne d’un double deuil, celui de son père et celui de l’entreprise familiale dont il devra superviser la liquidation du haut de ses vingt-quatre ans. Gérard et sa mère doutent du suicide. Gérard se confie à Léo qui lui parle de son père, PMU, ce détective-romancier qui jouit d’une certaine notoriété et d’une réputation de sérieux qui n’est plus à prouver. Gérard et sa mère demandent à PMU d’enquêter sur la mort de Pierre-François Degray. Ses conclusions seront bien différentes de celles de gendarmes…

À leur façon, Baritaud et Laplaze apportent leur contribution au renouvellement du personnage du détective privé. Les codes du genre sont à la fois respectés et détournés. La secrétaire est bien présente mais on est plus proche de l’adjudant-chef que de la poupée à fantasme ! Quand à PMU, il n’est pas armé, ne fume pas, boit fort peu et drague encore moins ! C’est un détective propre sur lui, père de famille, un homme heureux en ménage, qui gagne sa vie en menant ses enquêtes et en écrivant des romans policiers qui connaissent un certain succès. Sous l’influence de son épouse Barbara, passionnée par l’Italie, il apprécie beaux costumes et belles chaussures et les gâche rarement en passant la nuit accroupi dans un terrain vague à s’imprégner des effluves locales ! Le personnage, ainsi teinté de réalisme, gagne en crédibilité sans jamais devenir ennuyeux. Les amateurs de chasse aux références littéraires découvriront, au fil des romans, les affinités des auteurs, les grands classiques mais aussi Simenon et Freeling.

Avis aux lecteurs équipés d’une liseuse, ces trois romans sont disponibles en format électronique pour quelques euros.

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