Jack L’Éventreur à Montréal, en 1891

Hervé Gagnon, La Légende de Jack, (Jack, Les Éditions Libre Expression, Québec, 2014), 10/18 collection Grands Détectives, 2019

Montréal, août 1891. Une prostituée a été ramassée au coin de la rue St-Dominique et de la rue Vitré, blessée à l’arme blanche comme jamais vu à Montréal. Joseph Laflamme apprend la nouvelle dans le bureau de Rouleau, le rédacteur en chef du Canadien, alors qu’il est venu quémander quelques articles. Tremblant pour sa petite Mary, il se rue à l’Hôtel-Dieu, y découvre l’identité de la morte, Martha Gallagher, et surtout l’état du corps. Soulagé et l’esprit interpellé par la description du médecin, Laflamme redevient journaliste. Un tueur fou erre dans les rues de Montréal et personne ne le sait. Sa première victime était une prostituée, la suivante sera peut-être une mère de famille et là, toute la ville sera en émoi. Mais pour cela, il faut que les Montréalais.e.s prennent conscience du danger et ça, Joseph Laflamme sait faire. Ragaillardi par une perspective d’avenir inespérée, il se dirige vers la scène du crime. À l’ombre de la porte cochère, le sang et les matières organiques témoignent de la violence de l’attaque. Laflamme ramasse un bouton de manchette en or garni d’étranges inscriptions. Il croise également Archambault, un client de Martha, témoin de ses derniers instants et qui a vu le tueur s’enfuir. Encore choqué, il raconte la malheureuse éventrée, ses viscères drapés sur l’épaule et une voiture à cheval qui s’éloignait. Laflamme a de quoi rédiger un premier article et damer le pion à la police qui l’a envoyé paître avec son indice et son témoignage. C’est un franc succès. Laflamme possède une longueur d’avance sur la concurrence et sur la police. Il y gagne l’estime de Rouleau, une commande pour d’autres articles et la considération de Sauvageau, un permanent du journal, qui lui offre son aide. Le bouton de manchette ramassé sur la scène du crime est un accessoire de franc-maçon et Sauvageau fréquente une loge. Très au fait de la franc-maçonnerie, il éclaire Laflamme qui en ignore tout. Les deux hommes se rendent dans la seule boutique de Montréal où le bouton a pu être acheté. Non loin, Laflamme repère un couple de Britanniques qu’il a croisé la veille alors qu’il revenait de la scène de crime. Cet homme qui boîte et cette femme défigurée passent difficilement inaperçus, quand bien même ils troquent leurs habits bourgeois contre des blouses d’ouvriers. À quoi jouent-ils ? S’intéressent-ils à la même chose que lui ? Les articles de Laflamme se succèdent, les ventes du journal augmentent et les mécontents, évêques, franc-maçons, policiers, défilent dans le bureau de Rouleau, insensible aux pressions et ravi de la tournure des évènements. Laflamme, lui, perd son enthousiasme à mesure que l’affaire se développe et que les cadavres apparaissent dans les rues de Montréal. Et s’il faisait le jeu du tueur ? C’est ce que pense aussi le couple de Britanniques qui débarque chez lui, arme à la main…

Montréal au XIXème siècle, pour les lecteurs européens, c’est le dépaysement garanti. On y découvre, sous la plume d’Hervé Gagnon, une ville où pullulent les communautés religieuses et philosophiques, catholiques, protestants, franc-maçons, comme autant de réseaux hermétiques les uns aux autres. Si toutes ces religions et convictions ont une influence sur leurs adeptes, elles ne favorisent pas pour autant la mixité sociale et le partage des richesses, les ouvrier.e.s des quartiers populaires, exploité.e.s jusqu’à l’usure, en savent quelque chose… Pour le premier volume de cette série, l’auteur tisse habillement deux mythes chers à la littérature policière, Jack L’Éventreur et le personnage du journaliste-détective. La confrontation des deux, sur une trame d’histoire économique et sociale, est d’une grande originalité. L’intrigue sert également de prétexte à une réflexion sur les liens qui unissent pouvoir, presse et public. Qui utilise qui, qui manipule qui et à quelles fins ?… Cette série québécoise compte désormais six titres, espérons qu’ils traverseront tous l’Atlantique…

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